Jean Perdijon (Grenoble)

Je consens à être étonné ; je ne demande pas mieux que d'être étonné et je crois volontiers ce qui m'étonne le plus, mais je ne veux pas que l'on se moque de ma crédulité, parce que ma vanité entre alors en jeu dans mon impression et que notre vanité est, entre nous, le plus sévère des critiques.

Charles Nodier (La fée aux miettes)

Les tests du paradoxe E.P.R.


Le problème a été exposé pour la première fois en 1935 dans l'article dit EPR (Einstein, Podolsky , Rosen). Tout d'abord les auteurs posent un critère de réalité physique : si, en ne perturbant aucunement un système, on peut prédire avec certitude la valeur d'une grandeur physique qui le caractérise, alors il existe un élément de réalité qui correspond à cette grandeur. Puis ils considèrent un système composé de deux particules A et B qui ont interagi un certain temps avant de se séparer sans plus jamais interagir. La mécanique quantique décrit le système A + B par une fonction d'onde unique. Si on mesure la quantité de mouvement de la particule A avec le résultat pA, la fonction d'onde permet de prédire avec certitude celle pB de la particule B sans aucunement la perturber ; il doit donc exister un élément de réalité correspondant à pB. De même, si on mesure la position de la particule A avec le résultat qA, on en tire qB auquel doit correspondre un autre élément de réalité. Or p et q sont deux grandeurs conjuguées que la théorie quantique ne peut mesurer précisément simultanément, d'après le principe d'incertitude. Puisque ces éléments de la réalité n'ont pas de contrepartie dans la théorie, celle-ci est incomplète.
Mais il ne s'agissait que d'une expérience de pensée, dont Bohm donna en 1951 une formulation plus réaliste qui s'appliquait à des protons. Bell montra en 1965 que, pour une telle expérience, les prévisions statistiques de la mécanique quantique pouvaient dans certaines circonstances différer de celles d'une théorie locale où l'on suppose l'existence d'une certaine variable cachée ; il établit une inégalité qui devait être en certains cas violée par la mécanique quantique. Les expériences avec des photons polarisés étant plus faciles à réaliser, une nouvelle forme de l'inégalité fut proposée. Une source S (voir figure) émet deux photons en cascade, par l'excitation d'un atome qui retourne à son état initial en passant par un état intermédiaire, dans un laps de temps très bref ; du fait de la conservation de la quantité de mouvement, les deux photons sont émis dans la même direction mais en sens opposés. Pour détecter quelques unes de ces paires de photons, on aligne de part et d'autre de la source deux polariseurs P (dont on peut régler l'orientation), deux filtres F (accordés à la fréquence de chacun des photons) et deux photomultiplicateurs PM, connectés à un compteur CC qui enregistre une coïncidence quand le deuxième photon est détecté très peu de temps après le premier. Presque toutes les expériences, en particulier celle réalisée en 1982 par Aspect et son équipe, ont conclu à l'exactitude des prévisions quantiques.
Parmi les différents concepts impliqués, la plupart des physiciens ont choisi d'abandonner celui de localité : c'est le phénomène de non-séparabilité quantique, aussi appelé "intrication".

L'erreur de Bell


Les tests EPR sont de plus en plus perfectionnés et pratiquement tous concordants ; il devient très difficile d'incriminer le fait que les détecteurs ne sont pas absolument parfaits. Mais accepter la non-localité reviendrait à rejeter l'un des axiomes de la théorie de la relativité. On comprend donc que quelques réfractaires s'interrogent encore sur la validité du théorème de Bell. 

Soient PrA(a), PrB(b) et PrC(a, b) les probabilités de détection, respectivement pour chacun des deux photons et pour chaque paire, compte tenu des orientations a et b de chacun des polariseurs qui peuvent varier séparément de 0 à 180°. Pour un appareil parfait, la mécanique quantique montre que l'on doit avoir PrC(a, b) = 1/4 + (1/4) cos2(a - b). Si on suppose que ces probabilités dépendent également d'une certaine variable cachée µ qui définit l'état de la paire au moment de son émission, la condition d'indépendance entre les deux détecteurs s'écrit PrC(µ, a, b) = PrA(µ, a) x PrB(µ, b). Pour un appareil parfait et des photons seulement corrélés en direction de propagation, on en tire PrC(a, b) = 1/4 ; si on suppose qu'ils sont en plus corrélés en polarisation et qu'on prend pour variable µ l'angle entre l'axe de référence choisi pour définir a et b et la direction de polarisation commune aux deux photons, on a PrC(a, b) = 1/4 + (1/8) cos2(a - b), qui est encore en contradiction avec la prévision quantique. Cependant cette relation ne tient pas compte du fait que la probabilité de coïncidence n'est pas égale au produit de deux probabilités indépendantes, mais à celui de la probabilité pour que le premier photon soit compté par la probabilité pour que le second le soit, sachant que le premier l'a été. La probabilité pour que les deux photons soient comptés en même temps en C est alors PrC(µ, a, b) = PrA(µ, a) x PrB:A(µ, a, b). Si le premier photon a été compté en A, il n'y a aucune raison pour que le second ne le soit pas aussi en B, à moins qu'il ne soit arrêté par le polariseur de droite ; sa probabilité de comptage est donc la même que celle pour que le premier photon fût encore compté si le polariseur de droite était placé après celui de gauche et la loi de Malus donne PrB:A(µ, a, b) = cos²(a - b), qui ne dépend pas de µ. Une intégration pour µ variant de 0 à 180° donne enfin PrC(a, b) = (1/2) cos²(a - b), qui est identique au résultat de la mécanique quantique.

La double corrélation en directions (propagation et polarisation) des deux photons conduit de façon classique au même taux de coïncidence que la mécanique quantique, si on tient compte des connexions qui existent entre les deux photomultiplicateurs, situés en A et B, et le compteur des coïncidences ; celui-ci est situé en C et c'est tout à fait localement qu'il reçoit les informations en provenance de A puis B. La quasi-unanimité des physiciens pour abandonner un principe à la base de la relativité a quelque chose de suspect ; elle a fait le bonheur de nombreux auteurs prompts à vouloir réenchanter la physique.

 

Référence : J. Perdijon, "Le quantique : un paradoxe de la relativité ?", Désiris, 2014.